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mercredi 27 juin 2018

Plateau de vie pratique: Les changer ou pas?



Voici un sujet de réflexion que j'ai en tête depuis un bon moment pour ce blog. Lors de mon dernier stage de niveau 3, il y a 2 mois, je l'ai d'ailleurs soumis à mes stagiaires en exercice de groupe. Ce fut l'occasion d'un beau moment de réflexion puis de discussion. Aujourd'hui, je vous partage le fruit de mes réflexions sur le sujet.

De quoi s'agit-il?


Sur le net, et particulièrement dans une partie du monde anglo-saxon, il est d'usage pour certains éducateurs de changer régulièrement une partie de plateau de vie pratique et de les "saisonnaliser" c'est à dire d'utiliser des éléments ou des couleurs en rapport avec les saison ou les fêtes. Par exemple mettre du maïs pour les versés et un code couleur orangé au moment de l'automne, proposer un transfert de petits œufs décorés au moment de Pâques ou de flocons en feutrine pour Noël.

Quels avantages?


Le premier argument invoqué par les partisans de cette pratique est de soutenir l'intérêt des enfants pour les activités. C'est en effet un trait universel que nous sommes attirés par la nouveauté. Introduire un changement dans les plateaux et activités de vie pratique sera immédiatement remarqué par les enfants qui voudront généralement essayer le nouveau plateau. Les enfants retourneront alors à certaines activités qu'ils avaient délaissées depuis plusieurs semaines ou mois.


Le deuxième argument est d'aider les enfants à se repérer dans le temps long lorsque les changements apportés ont un rapport avec les saisons et les fêtes. Les grandes étapes de l'année sont ainsi rythmées par le changement de plateau. L'enfant comprend ainsi qu'on change de saison ou que l'on s'approche d'une grande fête grâce à ce changement qui fixe également des éléments culturels ou naturels liés à cette fête ou à cette saison. Par exemple, on peut proposer de transférer à avec une pince d'un petit récipient en forme de seau à un autre, des pommes miniatures à l'automne, des oranges miniatures en hivers, des fraises miniatures au printemps et des cerises miniatures en été.



Quelles limites?


la première chose qui a sauté aux yeux de mes stagiaires est la question de la présentation. Quel est le statut du nouveau plateau? Est-il nécessaire de refaire la présentation d'un versé ou d'un tissage dont on a changé les graines ou la couleur des rubans? A l'évidence non, mais comment concilier la demande de ne pas prendre une activité non présentée avec la possibilité de prendre un nouveau plateau pas si nouveau? Et pour certaines variantes, il faudra re-présenter.
Tout cela est donc une première source de confusion pour l'enfant.

Deuxième point: l'organisation spatiale. Où mettre ces plateaux? Remplacent-ils purement et simplement d'autres plateaux, y a-t-il une place spécifique pour les plateaux saisonniers?
Quand on sait combien besoin d'ordre des enfants est important, cela rend la question plus épineuse qu'il n'y paraît.

Troisième point: attention au plateau pour le plateau. Quand on se met dans la logique de faire varier les plateaux, on se met en recherche de petits objets pour introduire ces variations. A notre époque, les magasins regorgent de ces petits objets mignons comme tout et la tentation de les inclure est grande. Attention à ne pas introduire un plateau dont l'intérêt est mineur, voir nul, uniquement pour utiliser ce sachet d'objets si mignon acheté au magasin créatif. A force de vouloir varier en employant tel ou tel objet tellement mignon, on risque de proposer des activités qui n'ont aucun sens pour l'enfant.

Enfin, le dernier point, et non des moindres, a rapport avec l'éducation de la volonté de l'enfant, ce point tellement important dans la construction de sa personnalité.
L'enfant a besoin de s'exercer, de reprendre un matériel pour en perfectionner sa maîtrise. C'est une tendance humaine et quand elle peut se déployer sans entrave, elle développe la persévérance, la volonté, la capacité à mener un projet à terme. Et c'est ce que nous visons chez l'enfant.

Parallèlement à cette tendance au perfectionnement, la tendance à l'exploration nous rend attrayant tout ce qui est nouveau. Et cet attrait possède une puissance bien supérieure au besoin de perfectionnement qui est plus fragile et a besoin d 'un environnement favorable pour se développer.
Lorsque nous changeons très régulièrement les activités, nous flattons ce goût de la nouveauté déjà très présent chez l'enfant et nous lui ôtons une occasion de s'exercer à la volonté de reprendre cet exercice qu'il connaît déjà bien mais ne maîtrise pas encore totalement.





La joie des enfants à découvrir un nouveau plateau est bien réelle mais elle n'amène pas à la même qualité de reprise qu'avec le plateau qui ne varie pas. C'est un joie plus superficielle que la joie profonde de se sentir maitre de ses gestes sur un plateau peut-être plus austère.
L'enfant de 6-12 ans a besoin de variété dans la reprise de ses travaux mais il n'en est pas de même pour celui de 3-6 ans pour qui la répétition à l'identique est profondément constructrice. Mais pour cela, il faut que l'enfant accède à la normalisation.

En organisant une rotation saisonnière des plateaux, nous courons le risque d'aller flatter chez l'enfant cet attrait de la nouveauté sans aller chercher la normalisation, de maintenir l'enfant dans un niveau d'activité qui n'amène pas au véritable état de concentration que nous recherchons.



En conclusion


Organiser une rotation généralisée des plateaux ne me paraît pas cohérent avec l'approche Montessori. Avoir dans sa classe une très large base fixe d'activités de vie pratique n'empêche pas d'avoir un coin de la classe qui permette de sensibiliser aux saisons. Une sorte de table des saisons Montessorienne sur laquelle on pourra mettre en évidence des éléments naturels, des livres, dont on parlera également lors des rassemblements sur la ligne.
La sensibilisation au temps qui passe, aux saisons et aux fêtes n'est en effet pas du domaine de la vie pratique mais bien du domaine de la culture, au sens large montessorien (englobant, zoologie, botanique, géographie).
On pourra bien entendu faire varier la couleurs de rubans à tisser, proposer des motifs à broder, à poinçonner, à découper ou à colorier en rapport avec les saisons.  Dans ce cas, l'activité reste la même pour l'enfant, il y a juste une très légère variation du contenu.
Rien n'empêche également d'avoir un tout petit nombre d'activités qui n'apparaissent qu'à un moment précis de l'année. Par exemple, en septembre, notre assistante ramenait de grosses fleurs de tournesol en graines et nous proposions aux enfants d'en extraire les graines à la pince à épiler. En novembre, il ne restait généralement plus de fleurs.

Donc, un petit espace de l'étagère pour faire varier 2 ou 3 activités, oui, tout changer, non.

Et vous? Quel est votre avis sur cette question?

1 commentaire:

  1. Et bien je suis d'accord avec vous.
    Je rajouterais que la variation des plateaux me semble aussi très consumériste. La pédagogie montessori nécessite déjà beaucoup de matériel, ce n'est pas la peine d'en rajouter ! A l'heure où l'écologie devient une urgence, la variation des plateaux a encore moins de sens.
    De plus je pense que dans une classe, les éducateurs ont autre chose à faire que de prévoir de changer les plateaux : il faut les changer au bon moment et surtout les enlever au bon moment ! Et fait-on une première présentation avec le matériel transitoire ? Combien de temps dans l'année ce matériel transitoire par rapport au materiel "de base" ? Il faut stocker tout ces objets quelque part. Celà engendre des frais en plus non nécessaires sur des budgets déjà serrés et pour avoir du made in china !

    Bref, non je n'en vois pas l'intérêt. Merci d'avoir soulevé cette question !
    Servane

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